"Cher Mathieu, cher Thomas,
Quand vous étiez petits, j’ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous offrir un livre, un Tintin par exemple. On aurait pu en parler ensemble après. Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je ne l’ai jamais fait. Ce n’était pas la peine, vous ne saviez pas lire. Vous ne saurez jamais lire. Jusqu’à la fin, vos cadeaux de Noël seront des cubes ou des petites voitures…
Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais parlé de mes deux garçons. Pourquoi ? J’avais honte ? Peur qu’on me plaigne ? Tout cela un peu mélangé. Je crois, surtout, que c’était pour échapper à la question terrible : « Qu’est-ce qu’ils font ? »
Aujourd’hui que le temps presse, que la fin du monde est proche et que je suis de plus en plus biodégradable, j’ai décidé de leur écrire un livre. Pour qu’on ne les oublie pas, qu’il ne reste pas d’eux seulement une photo sur une carte d’invalidité. Peut-être pour dire mes remords. Je n’ai pas été un très bon père. Souvent, je ne les supportais pas. Avec eux, il fallait une patience d’ange, et je ne suis pas un ange.
Quand on parle des enfants handicapés, on prend un air de circonstance, comme quand on parle d’une catastrophe. Pour une fois, je voudrais essayer de parler d’eux avec le sourire. Ils m’ont fait rire avec leurs bêtises, et pas toujours involontairement.
Grâce à eux, j’ai eu des avantages sur les parents d’enfants normaux. Je n’ai pas eu de soucis avec leurs études ni leur orientation professionnelle. Nous n’avons pas eu à hésiter entre filière scientifique et filière littéraire. Pas eu à nous inquiéter de savoir ce qu’ils feraient plus tard, on a su rapidement que ce serait : rien.
Et surtout, pendant de nombreuses années, j’ai bénéficié d’une vignette automobile gratuite. Grâce à eux, j’ai pu rouler dans des grosses voitures américaines.
Jean-Louis Fournier"
Mami m'a prêté ce livre le weekend dernier, à lire "rapidement" pour le rendre à papi dès que possible, puisqu'il voulait absolument le lire. Vu l'épaisseur c'est chose faite, je le rendrais à papi vendredi après midi en le retrouvant à Ikéa.
Gros bouleversement quand même, ce bouquin. Une tornade en humour noir, une avalanche d'émotions lancées avec une impassibilité déroutante. J'en reste encore estomaquée. Moi qui commence à avoir sérieusement envie d'enfants me voilà toute chamboulée... Quelle alchimie compliquée quand même, quand on y pense, d'arriver à faire des enfants "normaux". Toute cette multiplication de cellules pour arriver à faire cinq doigts et c'est encore plus compliqué à l'intérieur... Non je sais déjà que je n'ai pas la force de travailler en Institut médico pédagogique, que je ne me sens pas capable non plus de travailler avec des enfants autistes... Et si jamais un jour un de mes enfants (futurs...) était handicapé ???
Je remets la question à plus tard, donc... comme à chaque fois qu'elle m'est venue à l'esprit, mais quand même, là je viens de la reprendre en plein dans la figure... C'est un bouquin qui doit être plus facile à lire pour des parents d'enfants "normaux" qui n'ont plus cette angoisse, ou pour des parents d'enfants handicapés qui retrouvent peut être certains de leurs sentiments, ou pas d'ailleurs. Non en fait. Je pense plutôt que c'est un bouquin facile à lire (c'est bien écrit, ça coule tout seul..) surement pour beaucoup de monde, mais sacrément dur à digérer, surement aussi pour beaucoup de monde....
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